HISTOIRE DU CANNABIS
Cannabis sativa, une plante entre le bien et le mal
Cannabis sativa est une plante légendaire et presque mythique. Pourtant, elle est rarement racontée dans les livres d’histoire. Véritable Janus du monde végétal, elle possède un double visage unique : d’un côté le chanvre, plante textile, agricole et stratégique, longtemps légale et indispensable ; de l’autre, le cannabis psychotrope, chargé d’usages médicinaux, spirituels et récréatifs, aujourd’hui encore controversé.
Il s’agit pourtant d’une seule et même espèce : Cannabis sativa.
Le papier, la médecine et les rites
Selon une légende ancienne, l’invention du papier de chanvre serait due à Tsai Lun, eunuque de la cour impériale. Pour attirer l’attention de l’empereur, il simule sa mort, fait brûler du papier de chanvre autour de son cercueil, puis organise sa résurrection qu’il attribue aux vertus de son invention. Depuis, les Chinois brûlent du papier lors des funérailles.
Cette légende est aussi à l’origine du “Woo Foo”, un code de cinq niveaux de deuil imposant aux proches du défunt le port de vêtements de chanvre différents selon leur lien de parenté.
Pendant des siècles, la Chine garde jalousement le secret de la fabrication du papier. Ce savoir ne se diffuse qu’au Ve siècle vers le Japon, puis le Moyen-Orient, avant d’atteindre l’Europe au XIIIe siècle.
Parallèlement, le cannabis entre très tôt dans la médecine. Dès le XXVIIIe siècle avant J.-C., l’empereur Chen Nong, fondateur de la médecine chinoise, mentionne l’usage du cannabis. Les feuilles sont appliquées directement sur les blessures de guerre. Aujourd’hui encore, des médecins dans le monde entier défendent l’usage thérapeutique du cannabis, notamment contre la douleur chez les patients atteints de cancer ou du sida.
Aux origines : la Chine, berceau du chanvre
Le cannabis est l’une des plantes les plus anciennement cultivées par l’homme. En Chine, le travail du chanvre est attesté dès 10 000 ans avant J.-C.. Les premières utilisations concernent les graines, consommées comme aliment, puis la tige, dont on découvre qu’en la brisant on peut en extraire des fibres extrêmement résistantes. Ces fibres servent à fabriquer du papier, des filets de pêche, des cordages et des textiles.
Dans la Chine ancienne, le pays est même désigné comme le pays du chanvre et du mûrier. Les feuilles de mûrier nourrissent les vers à soie produisant un textile précieux réservé aux élites, tandis que le peuple porte des vêtements de chanvre. Le mot chanvre se dit “Mâ” en chinois, terme signifiant littéralement “plante à deux sexes”, mâle et femelle.
Le chanvre devient rapidement une ressource stratégique. Les Chinois l’utilisent pour la fabrication d’armes de guerre : après avoir utilisé le bambou pour les arcs, ils découvrent que la fibre de chanvre est plus solide. Les empereurs affectent alors une partie des terres impériales à la culture exclusive du chanvre.



Inde, monde antique et Empire romain
Le cannabis est également cultivé sur les marges du sous-continent indien : Kazakhstan, Pakistan, Népal, Cachemire. Les fermiers utilisent la technique du rouissage, transformant la plante en farine, bouillies ou même en sortes de “pop-corn”. Les graines servent de nourriture et fournissent une huile pauvre en acides gras.
Au IIIe siècle après J.-C., l’empereur romain Gallien recommande l’usage du cannabis, affirmant qu’il procure bonheur et hilarité. Dans un Empire romain en décomposition, les cultes orientaux gagnent en influence. Pour les Romains, le chanvre est littéralement le nerf de la guerre. Ils disposent de réserves stratégiques à Ravenne et à Vienne, et le fournisseur de chanvre occupe une place clé dans la hiérarchie impériale.
Le chanvre est utilisé pour tout : vêtements, abris, nourriture, médecine, équipements militaires.
Moyen Âge, christianisation et contradictions
Avec l’expansion du christianisme, le cannabis est progressivement diabolisé et associé à des rites sataniques. Pourtant, sous Charlemagne, au IXe siècle, la culture du chanvre est à nouveau encouragée. Dans les monastères, les moines copistes travaillent sur du papier de chanvre, à la lumière de lampes à huile… de chanvre.
En 1455, Gutenberg imprime sa première Bible sur papier de chanvre. Mais en 1484, le pape Innocent VIII déclare la consommation de cannabis sacrilège.
Au XVIe siècle, François Rabelais, médecin et écrivain, évoque indirectement le cannabis dans Pantagruel. L’historien Pierre Goubert affirmera plus tard que la prospérité de l’ouest de la France aux XVIe et XVIIe siècles doit beaucoup aux syndicats industriels du chanvre et du lin, favorisés par les échanges avec l’Espagne.
Conquêtes, colonies et monde moderne
En 1492, Christophe Colomb introduit le chanvre en Amérique. Les voiles et cordages des grandes puissances maritimes européennes reposent sur cette plante. En 1620, le Mayflower transporte colons… et graines de chanvre. Plus tard, la Constitution américaine et la Déclaration d’indépendance sont rédigées sur papier de chanvre.
Pendant des siècles, le chanvre reste stratégique pour l’Angleterre. Les guerres napoléoniennes et le blocus continental mettent en lumière son importance. Le traité de Tilsit, interdisant l’exportation de chanvre russe, contribue même à la décision de Napoléon d’envahir la Russie.
XIXe siècle : Orient, artistes et haschisch
Au XIXe siècle, l’Europe se passionne pour l’Orient. À Paris, le club des Haschichins réunit artistes et écrivains autour de la confiture de haschisch du docteur Moreau de Tours. Baudelaire, Gautier, Delacroix, Dumas ou Nerval en font l’expérience. La reine Victoria elle-même consomme du haschisch pour soulager ses douleurs menstruelles.
À Amsterdam, le cannabis importé d’Afrique du Sud se fume déjà dans les coffee shops dès le XVIIe siècle.
Amériques, musique et prohibition
À la fin du XIXe siècle, les migrants indiens introduisent le cannabis au Mexique, où il prend le nom de marijuana. Il devient un symbole révolutionnaire avec Pancho Villa. La marijuana remonte ensuite vers le sud des États-Unis, consommée par les esclaves puis dans les quartiers noirs, où elle est appelée “reefer”.
Dans les années 1920–30, la musique jazz, le swing et la marijuana se diffusent ensemble. Tandis que l’alcool est interdit durant la Prohibition, le cannabis attire l’attention des autorités.
Guerres mondiales et hypocrisie d’État
Durant la Seconde Guerre mondiale, toutes les grandes puissances réalisent leur dépendance au chanvre. Les États-Unis relégalisent temporairement la marijuana et lancent le film “Hemp for Victory”. Parachutes, sangles, sacs et équipements militaires sont en chanvre.
Après la guerre, le chanvre est à nouveau interdit… mais massivement importé.
Années 60–70 : hippies, Jamaïque et rastas
Dans les années 1960, le mouvement hippie relance mondialement le cannabis comme symbole de paix et de refus de la société de consommation. Les Beatles, les Rolling Stones et toute la scène rock participent à cette diffusion culturelle.
Dans les années 1970, la Jamaïque joue un rôle central. Les rastafaris fument la ganja, qu’ils considèrent comme la nourriture de l’esprit. Portée par le reggae et des figures comme Bob Marley, cette culture diffuse un message spirituel, politique et identitaire à l’échelle mondiale.
Amsterdam dépénalise le cannabis, Ben Dronckers devient l’un des premiers producteurs légaux.
Renaissance contemporaine
Depuis les années 1990, le chanvre connaît un renouveau écologique, industriel et culturel. Vêtements, alimentation, construction, énergie : la plante retrouve une place centrale. En parallèle, un lobby politique s’organise pour la légalisation et la régulation du cannabis.
Le cannabis traverse l’histoire humaine comme un fil invisible : tantôt ressource vitale, tantôt menace morale, il révèle surtout la manière dont les sociétés choisissent de contrôler — ou non — leurs plantes, leurs plaisirs et leurs libertés.


🧭 Ce que cette histoire nous apprend sur la légalisation actuelle
L’histoire du cannabis montre une constante : ce n’est pas la plante qui change, mais le regard que les sociétés portent sur elle.
Pendant des millénaires, Cannabis sativa a été à la fois ressource agricole, outil stratégique, médicament, substance spirituelle et produit récréatif, sans jamais être réduite à une seule de ces fonctions.
La prohibition du XXᵉ siècle apparaît aujourd’hui comme une parenthèse historique, largement influencée par des contextes politiques, économiques et moraux plus que par des considérations strictement sanitaires. Elle a contribué à la criminalisation des usages, à l’essor de marchés illégaux et à une concentration des produits, souvent plus dangereuse que les usages traditionnels.
Les débats contemporains sur la dépénalisation ou la légalisation ne sont donc pas une rupture radicale, mais un retour à une gestion encadrée d’une plante anciennement intégrée aux sociétés humaines.
L’enjeu n’est pas de banaliser le cannabis, mais de reprendre le contrôle : qualité des produits, information des usagers, prévention des risques, protection des plus jeunes et réduction des trafics.
Comprendre l’histoire du cannabis permet ainsi de dépasser les oppositions simplistes entre “pour” et “contre” et d’aborder la question sous l’angle le plus pertinent : celui de la santé publique, de la responsabilité collective et de la lucidité historique.
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